C’est rare que je fasse un billet sur un coup d’humeur (le dernier sur ce blog date de presque deux ans), mais là, franchement, c’est dur de se retenir avec des idioties pareilles :
Prédire les évènements, mais après…
Si vous voulez lire – avec des pincettes – l’article complet est ici. Attention, c’est un panégyrique total à la grandeur de la société qui a eu la brillante idée d’analyser après coup les gazouillages de Twitter contenant le mot zbeul pour déclarer qu’elle aurait pu prédire les évènements malheureux du Trocadéro.
Vous avez bien lu : après coup et prédire dans la même phrase. Eh oui, c’est beaucoup plus facile de dire qu’un évènement était prévisible quand il s’est passé…
L’auteur accumule ensuite un tas de bourdes toutes plus énormes les unes que les autres :
- Confusion entre la prédiction d’une consommation globale d’un produit avec la production par un individu (ça améliore le sensationnalisme, c’est sûr, de dire que le sens du vent va permettre de savoir quels chips vous allez acheter)
- Croyance aveugle dans les gains de l’analyse prédictive pour l’optimisation de la logistique de la grande distribution : il y a déjà vingt ans que ça se tente dans tous les sens, avec des résultats aussi débiles que de mettre les bières à côté des couches culottes (avec évidemment des résultats nuls)
- Confusion entre les évènements et les tendances, rattrapée par la fin de la phrase “prévoir les crimes, en tout cas essayer d’en étudier la fréquence (…)”. Ben, ça fait quand même une sacrée différence, non ? En premier, c’est de la magie, en deuxième, c’est simplement de l’analyse numérique…
Quelques phrases bien ronflantes pour emballer le tout : “Le Big data n’est plus un mythe. Il entre dans nos vies quotidiennes et va forcément nous faire réfléchir”. Hmmm… Là, si j’étais vraiment méchant, je pourrai souligner que l’effet se fait toujours attendre. “L’enjeu devient public et national. On change radicalement de dimension”. Bigre ! Dois-je m’attendre à voir des extra-terrestres ?
Et en dernier, la bonne grosse exagération qui tâche : “des centaines de gamins écrivent en toutes lettres « je finis le boulot et je vais au troca casser du CRS »”.
Le problème
Le problème n’est pas juste que l’ “animateur / blogueur” de BFM a écrit un article mal informé, c’est surtout le fait que la croyance aveugle dans le Big Data et l’analyse des signaux faibles est en train de s’insinuer dans le domaine culturel général, en sortant petit-à-petit de la communauté des informaticiens. Alors justement que nous avons passé plus d’un an à nous rendre compte que c’est à 90% du vent, et que ça commençait justement à se savoir dans notre petit cercle !
Si le grand public, relayé par des articles comme critiqué ci-dessus, se met à croire à ces lanternes, on va encore avoir du mal à faire atterrir tout le monde dans les années qui suivent…
Petit rappel : après des mois (voire années) de matraquage sur le Big Data, on commence enfin à entendre dans les médias quelques voix discordantes, qui indiquent qu’il y a “trop de flou sur l’origine des données” (article), que “la sécurité reste un problème” (article), qu’il va falloir “mieux valoriser les données” (article). Ce qui n’empêche pas le gouvernement, décidément souvent à contre-courant sur les technologies de l’IT, d’investir dans le Big Data, mais bon… je ne ferai pas de mauvais esprit sur le fait que la totalité des expériences françaises en cours se font sur des Clouds américains.
Un avertissement de Forrester (qui a pourtant porté le concept de Big Data pendant longtemps) est assez révélateur :
Après la phase « big data » où les entreprises se sont évertuées à tout traiter avec plus ou moins de succès, une phase de tri et de sélection des informations a priori pertinentes devrait débuter.
Perso, depuis le début, je ne suis pas convaincu par le Big Data (ou en tout cas, je sais qu’il ne sera pas à la hauteur des attentes démesurées qui sont placées en lui), et j’avais fortement apprécié le recul de Serge Abiteboul, au point de faire un billet de blog dessus, dès Octobre 2012.
J’étais content de voir que la presse spécialisée commençait enfin à se déciller, mais si c’est pour se rendre compte que pendant ce temps-là, la presse grand public reprend les mêmes âneries, c’est à désespérer…
Bonus
Allez, c’est cadeau : un autre exemple de grosse tromperie sur la marchandise en ce moment, à savoir l’utilité des réseaux sociaux en entreprise. Il se trouve qu’on commence à se rendre compte qu’il ne suffit pas de poser un portail pour que tous les employés communiquent comme par magie… Selon Gartner, seuls 10% des déploiements sont réussis, et ZDNet enfonce le clou en parlant de la nécessité de “prier pour que cela fonctionne” (sic). Si j’avais du temps, je rechercherai les articles dithyrambiques d’il y a quelques mois à peine et qui expliquaient comment les réseaux sociaux et la génération Y allait bouleverser la communication d’entreprise… Mais j’ai déjà perdu assez de temps à commenter des idioties pour ce soir.